Pierre J.: Je ne suis pas terrifié, comme mon ami athée, par le néant, mais au contraire par le concept d’éternité.
Je t’en avais fait part, lors de nos échanges épistolaires. Je t’avais dit que l’horreur suprême, pour moi, serait de ne jamais mourir. Je me demande – et me suis toujours demandé – si l’on mesure bien l’implication de cette hypothèse, qui m’apparaît vertigineuse, cauchemardesque, pouvant même aller, si on se risquait à la creuser, jusqu’à la panique ou à la folie… Mais personne ne semble s’en émouvoir.
Je résumerais donc ma question en ces termes : comment appréhendes-tu la perspective de l’éternité ?
Didier: Si je regarde par le petit bout de ma lorgnette (l’angle Didier), que vois-je donc ?
Je ne vois que "maintenant", qui n’en est pas vraiment un car il n’est pas "coincé" entre un "passé" et un "futur", qui sont des concepts utiles pour réserver un train mais qui ne sont pas une réalité. La vie n’est que Maintenant, tout de suite, d’une fulgurance si rapide qu’elle ne peut pas s’étaler dans un soi-disant "temps".
La vie est aussi totalement "Ici", un ici pas localisé du tout, sans dimension, qui contient tous les "ici" qui se sont présentés "ici", et toujours "maintenant"…
Ce n’est pas une lecture hautement philosophique, ni même spirituelle. C’est le cas de tout le monde, sauf qu’il y a le rêve d’un "ailleurs", dans le temps et dans l’espace. D’où l’intérêt de s’éveiller !
Quel intérêt ? Par exemple, celui de reconnaître que cette unique pointe d’Existence n’est pas différente de moi-même (pas du gugusse, hein ?) et du coup totalement intime, bienveillante, accueillante, paisible, etc…. Bien que ces attributs puissent te faire frémir, ils décrivent assez bien l’unique et indivisible matière de l’univers : Sat - Chit - Ananda.
Donc le concept d’éternité n’y existe pas vraiment : c’est toujours la même heure, seul le paysage change. Il n’y pas un abysse de temps derrière moi et un autre abysse devant moi ce qui pourrait effectivement générer une forme de panique, s'ils étaient envisagés comme tels.
Peut-être que comme l’éternité est envisagée dans ton cas comme une punition, un purgatoire éternel, cette information viendrait d’une adhérence entre un Pierre relatif et cette immensité, situation qui donc semble être de l’ordre de la torture.
Peux-tu envisager que cette "immensité" atemporelle - totalement intime - n’a pas d’existence en dehors de toi-même, ce que tu es réellement ? Si ce n’est pas 100% vu, c’est probablement une des options de souffrance et d’angoisse.
Il est difficile de spéculer du pourquoi et du comment de "Maya", si incroyablement créative, utilisant tous les trucs en sa possession, mais essentiellement basés sur des peurs et angoisses…
Pierre J.: Donc, si je condense ta réponse :
- il n’y a ni passé ni futur, ni "temps" mais uniquement ici et maintenant
- exit donc de l’idée d’éternité qui me paraissait anxiogène
- il n’y a que Conscience CHIT
- avec la cerise sur le gâteau ANANDA
Aucune raison alors de se faire du souci !
Je dois avouer que j’aurais certainement besoin d’un "échantillon gratuit" pour trouver cette paix de l’esprit SHANTI qui me manque un peu.
Mais bon, inutile de compter sur l’avenir pour l’obtenir. Elle est déjà présente, me diras-tu.
Ahh, chut le mental !
Didier: Excellente description de ce qui se passe… Une conclusion bien phrasée, ensuite la constatation que cela n’est pas le cas dans "mon” expérience (ceci est essentiellement dû à une toute petite erreur d’inattention), ensuite rappel que cette "erreur” est juste une errance du mental…
Et je conclurais que d’en parler ainsi crée la parfaite porte de sortie pour s’échapper... C’est simple, le bouc émissaire, c’est le mental ! Une autre ruse de Maya...
Le mental (cet assemblage de pensées) ne serait-il pas plutôt une forme d’illustration, d’événement périphérique, qui raconte simplement une histoire en fonction d’une croyance (de séparation) toujours bien ancrée ?
Donc, si le mental n’y est pour rien, si c’est juste un "effet secondaire", alors qui/quoi d’autre est concerné ?
Paradoxe des paradoxes : c’est toi-même! (Sacrilège non-duel exquis !)
Voilà, c’est dit. Ceci a l’avantage d’arrêter d'aller à la chasse aux boucs émissaires (les pauvres…), et de regarder au plus près que ce qui est proposé est infiniment plus central qu’une réorganisation de ta vie, de tes expériences, de tes pensées.
Oui, bien sûr, "tu" ne peux rien faire (en tant que Pierre), mais ce n’est pas important car tout complote, incluant cette conversation, pour amener naturellement, automatiquement, à une Conclusion vivante, directe, intime, centrale, non pensée…
C’est une vraie possibilité quand les échappatoires ont été vus pour ce qu’ils sont.
Pierre J.: Je synthétise à nouveau ta réponse à mon questionnement (si je l’ai bien comprise):
Ce malaise existentiel est « juste une erreur du mental » mais celui-ci est un « bouc émissaire de Maya » pour aiguiller le chercheur sur une fausse piste !
Je suis en fait le seul concerné…
Donc. Question courte : Comment résoudre ce « paradoxe des paradoxes », ce «Sacrilège non-duel exquis » ? Attendre qu’il se résolve tout seul, je présume ?
Didier: C’est fou de voir comme on est tous conditionnés dans des réponses binaires : attendre / ne pas attendre, faire / ne pas faire, etc…
Il semble logique que la réponse est dans une action spécifique du gugusse, ou sa non action. Et si cela n’avait rien du tout à voir avec lui ? Ce qui veut aussi dire (attention à la dissonance !) que cela a tout à voir avec le gugusse, ainsi qu'à l’intégralité du reste de l’histoire (la partie non-gugusse !) et on arrive ici à une liberté totale.
Il n’y a rien de spécifique à faire. Par contre, cela n’empêche pas du tout le "faire" d’apparaître spontanément. Et quand ce "faire" libéré du poids de l'étiquetage "mon action" ou "ma non-action", surgit, cela déchire toujours un coin du Voile. Cela a été grandement illustré par Jiddu Krishnamurti.
Et aussi par Le Chat !
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