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Zut alors...

Pierre J. : Je suis confiné chez moi, ce qui ne change en fait pas grand-chose à mes habitudes plutôt sédentaires et me laisse le loisir d’explorer la solitude, car je viens de me faire très récemment larguer par ma compagne…


Didier: Zut alors….

Pierre J. : Je ne peux m’empêcher de rire tout seul (ce qui est rare), quand tu commentes en trois lettres la rupture avec ma compagne : zut. C’est vrai qu’il y a deux interprétations possibles : soit tu t’en fous royalement, soit tu relativises complètement l’évènement… J’opte pour la seconde hypothèse (qui n’exclut pas forcément la première !)


Didier : Pierre, je ne minimise en rien la douleur émotionelle et les désagréments de ce nouvel épisode, je ne suis pas devenu insensible en ma tour d’ivoire. Par contre, comme tu l’as justement deviné, j’applique ici le remède #1 à toutes les galères qui s’invitent dans toutes les histoires de vie, "éveillées" ou pas. Et ce remède, localement en Inde, se résume par une expression verbale du type : shit!" - mais pas le Chit de Sat Chit Ananda !


C’est la prise en compte d’un nouvel élément, ici un évènement fâcheux , sans tentative d'en minimiser l’impact dans un faux détachement, une attitude "cool" prétendue "spirituelle".


C’est exactement comme lorsque tu tires une carte "crevaison" au jeu du "Mille Bornes". Elle est tirée : "zut !"Puis instantanément la vie s’organise autour de ce nouvel élément : la nouvelle donnée entraîne une nouvelle action ou la cessation de certaines actions.

Pas de place pour les "il aurait fallu", "il faudrait", "ça aurait pu", "ça pourrait”, "ça ne devrait pas", etc… En gros, pas de négociation avec "Ce-qui-est", car c'est de là que découle la souffrance… "Ce-qui-est" est.

Cela n’empêche absolument pas que la douleur soit présente mais il n'y a pas de tentative de manipulation, de ré-écrire l’histoire, de supputer, de regretter, ou même d’espérer. Juste être présent avec le fait du moment et …. action, moteur ! Une vie simplifiée en quelque sorte.


Pierre J. : Il est peut-être paradoxalement plus difficile de relativiser les évènements heureux – mais ceci est un autre sujet.

Didier : Bien vu, Pierre ! C’est effectivement une "identification" naturelle, anodine, plaisante, recherchée, que de faire tourner en boucle et de ressasser les éléments positifs de notre vie. Une souffrance qui ne dit pas son vrai nom, car - en elle - se cache tout le potentiel d’attachement et de manque...


Pierre J. : Je suis entièrement en adéquation avec toi sur le fond, même si l’on pourrait concéder qu’il y a une échelle dans la gravité de l’évènement. Je m’explique : si on vient de me voler ma voiture, c’est moins grave que si je viens de perdre mon job ou que ma compagne m’a quitté, c’est moins grave que si je viens de perdre un enfant, etc...


L’attitude "zut" (ou "shit") correspond à une maturité spirituelle (dès lors qu’elle n’est pas feinte), mais risque d’être mal perçue du point de vue compassionnel (cher au bouddhisme). N'y aurait-il pas ici un manque de compassion ?


Didier : Le fondement de notre discussion n’est pas à propos de la perception "des autres" mais à propos de la réalité de l’expérience émotionnelle, physique et mentale en face de l’adversité.


Ce que pensent les "autres" n'affecte pas la lecture et l’expérience du moment. Bien sûr, la compassion par rapport à une souffrance, en rapport à ma lecture spécifique d'un événement, va influencer ma communication. Mais une grande attention va être portée à ne pas créer de souffrance supplémentaire, du fait d'une incompréhension fondamentale "des autres" à propos de mon "point de vue" manquant terriblement d'imagination...


Une analogie : Tu marches sur un sentier et un chien errant terrorisé se met à aboyer de toutes ses forces en te voyant arriver vers lui. Bien que la source de sa terreur n’est en aucune manière réelle (tu ne fais que passer paisiblement et n'as probablement rien contre les chiens), tu ne vas pas t'approcher et te mettre à lui prodiguer des caresses. Tu continues ton chemin.


Le chien aboie, la caravane passe … au plus vite !

Ou bien: l'option du moindre mal (cela doit être effectivement bouddhiste ?)


Pierre J. : Question subsidiaire : comment réagirais-tu si tu apprenais "le pire" évènement touchant un de tes proches ?

Didier : C’est toujours très délicat de spéculer et d’affirmer quoique ce soit dans ce domaine. En fait, je ne sais pas. Y aurait-il une "limite" à partir de laquelle cette Reconnaissance non-duelle serait d’une certaine manière inopérante, voire caduque ? Il n'est pas exclus que dans des cas extrêmes, un traumatisme profond puisse bien re-prendre la "Citadelle de l’Eveil”, temporairement ou definitivement. Qui sait ?


Je te répondrai plus concrètement. Parmi les événements passés ces dernières années, certains ont été intenses, même graves (je ne vais pas m’étaler sur leur histoire). Mais force est de constater qu’Essence (nous-mêmes) n’a jamais été - car ce n’est pas possible, sauf par imagination - confondue avec Manifestation, cette histoire potentiellement très douloureuse.


Il ne s’agit pas d'un détachement ou le résultat d'une impasse, mais de la connaissance directe et vivante, qu’Essence et Manifestation ne peuvent pas se "mélanger" : ces 2 aspects indissociables ne sont pas sur le même "plan", donc aucune interaction n’est possible.

Lorsqu'une assiette est cassée, je peux me lamenter sur le fait qu'elle soit cassée ou pas. Se lamenter est facultatif. Toujours est-il que l’intégrité et l’existence "argile"n'est en rien modifiée. La forme est différente mais - en cette métaphore - la matière est une "qualité"et non une "quantité".


Donc il n’y a pas de passerelle entre ces 2 aspects : le fonds (ce que je suis) n’est en aucun cas affecté par la forme (l’histoire). Sois-en persuadé, ce n'est pas par cruel désintérêt ou froid détachement, mais par une impossibilité de base.


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