Sophie: Comment s'articule cette Paix inaltérable avec le Chaos?
Didier: Question courte, réponse courte ! Je vais reprendre la métaphore du pot et de l'argile. Le pot peut avoir une forme épurée ou incroyablement complexe, harmonieuse ou bizarre, élégante ou disgracieuse, être fragmenté, voire brisé, il ne sera jamais fait que d'un même et unique matériau : l'argile.
Le matériau du chaos est la paix, cette paix qui n'est pas la paix de quelqu'un tranquillement installé confortablement dans son fauteuil. Mais - c'est presque une évidence - c'est ce profond vécu qui dit : « Je suis », « Je suis toujours ». Et pour revenir à la phrase de Stephen Jourdain, je dirais : « En mon sein, un chaos est créé. ». Ce n'est pas simplement « en mon sein », mais « de mon sein », « de mon propre matériau », « de ma propre présence ».
Quelle que soit la forme de l'histoire, simple et joyeuse ou chaotique et douloureuse, c'est toujours cette paix qui est à l'œuvre. C'est peut-être incompréhensible à entendre ou à voir, mais la paix n'est pas l'opposé du chaos. Cela n'a rien à voir. La paix est le matériau du chaos.
Sophie: J''entends bien, parce-que je vois que c'est à partir de cet espace ouvert que tout jaillit, c'est très clairement vécu. Par contre, le doute demeure. S'il y a autant de souffrance face au chaos, j'imagine que c'est la façon dont mon identification perdure. Et quand je parle de chaos, je ne parle pas d'un chaos personnel...
Didier : Je n'exclue pas la douleur de ce chaos . La douleur va être toujours là, la douleur physique, la douleur émotionnelle, il y a plein de formes de douleurs. Je ne propose pas de garder la douleur à distance ou d'adopter un point de vue qui serait élevé.
Je parle au contraire d'un point de vue très intime, à distance zéro du chaos. Et non pas de ce point de vue qui serait lui-même à distance de ce qui se passe et qui serait forcément bouleversé. Quand il n'y a QUE douleur, il n'y a pas de point de vue « à propos de » la douleur.. Le point de vue amène de la souffrance. Celle-ci, que l'on appelle communément "la souffrance de la condition humaine", cet émotionnel particulier, peut disparaître. Douleur ou plaisir apparaîtront, mais fondamentalement, il n'y aura pas souffrance.
Pour mieux illustrer, je vais prendre la métaphore du combat de boxe. Pour qu'il y ait un impact, une souffrance rajoutée (aux coups), il faut qu'il y ait une distance. À une certaine distance, les coups arrivent et sont très puissants et percutants parce qu'il y a cette distance justement. C'est l'efficacité maximum de l'impact. Quand les boxeurs sont épuisés et qu'ils n'en peuvent plus, au lieu de s'éloigner, ils se rapprochent et se prennent l'un dans l'autre pour que les coups soient de moins en moins puissants, qu'ils portent moins et qu'il y ait de moins en moins cette possibilité d'être impacté par la situation. Et on voit bien que si les deux boxeurs arrivaient à se fondre complètement l'un dans l'autre, il n'y aurait plus de possibilité d'impact. Il y aurait juste la situation.
Donc c'est une métaphore qui raconte un peu ça : toute souffrance surajoutée - toute l'histoire qui se raconte - "par rapport" à la douleur qui fait partie de la vie, toute possibilité de se sentir touché en tant que « pauvre moi » ou de « pauvres autres », « Il faudrait que ce soit autrement », « Ils auraient dû faire mieux », "je n'aurai pas dû dre ça" ... Tous ces réflexions ne viennent que du fait de cette distance imaginaire d'un point de vue particulier « par rapport » à ce qui se passe.